La
place forte d'Epinal
Epinal
était en 1914 l'une des quatre places fortes principales
du système défensif de la France avec Verdun, Toul
et Belfort.
Le
nouveau tracé de la frontière consécutif à
la défaite de 1870 facilitait une invasion allemande par
la crête des Vosges ou par la plaine entre Nancy et Baccarat.
On décida alors de créer une place forte à
Epinal, principalement pour empêcher le contournement de Belfort
par les Monts-Faucilles et la Franche-Comté. Ce choix permettait
de renforcer l'extrémité nord du rideau défensif
des forts de Haute-Moselle. Epinal formait par la même occasion
la défense sud de la trouée de Charmes, le nord étant
protégé par la place de Toul. Enfin la ville d'Epinal
constituait un important nud de communications routières
et ferroviaires, le chemin de fer ayant une importance stratégique
primordiale à cette époque.
En
première urgence, dès 1876, on construit les quatre
forts de Dogneville, Longchamp, Razimont et La Mouche, formant "tête
de pont" ou base offensive, sur la rive droite de la Moselle.
On complète le dispositif en 1879 avec les trois forts de
Girancourt, du Roulon et du Bambois en rive gauche.
Ces premiers éléments de la place sont de solides
forts d'arrêt isolés pouvant se défendre de
tous côtés, mais trop éloignés les uns
des autres pour qu'on puisse considérer Epinal comme une
place fermée.
Les ouvrages suivants sont édifiés de 1881 à
1885 : Uxegney, Sanchey, Le Thiéha, La Grande-Haye, La Voivre,
Les Friches, Bois-l'Abbé et Les Adelphes. Leur plan est désormais
celui d'un fort de place, non protégé sur l'arrière.
Ils compléteront les précédents et Epinal sera
ainsi ceinturée d'une ligne de défense continue où
les forts se couvrent mutuellement.
Rappelons
que ces ouvrages fortifiés étaient encore construits
en maçonnerie recouverte de 3 mètres de terre, et
que leur artillerie était essentiellement placée à
ciel ouvert sur des plateformes de tir. La
place d'Epinal compte donc 15 forts construits en un peu moins de
dix ans lorsque survient la crise dite de l'obus-torpille obligeant
à repenser tous les principes de défense.
Dans
un premier temps, de 1887 à 1897, on ôte l'artillerie
des forts pour la disperser dans des batteries d'intervalles. Les
réserves de munitions sont également sorties des forts
et réparties dans des magasins souterrains creusés
à flanc de colline, situés en arrière de la
ligne principale de défense, et parfaitement dissimulés
aux vues de l'ennemi. On construit aussi des redoutes, retranchements
en terre pour l'infanterie. Les forts sont néanmoins conservés
comme observatoires et abris, et certains d'entre eux sont renforcés
par la construction de casernements en béton spécial
non armé.
La
multiplication et la dispersion de ces nouveaux ouvrages posa le
problème de leur approvisionnement; celui-ci fut résolu
par la création, dès 1888, d'une voie ferrée
stratégique de 0,60m du système Péchot, dont
le développement du réseau atteindra près de
120 km. La
construction des voies ferrées des différents secteurs
et voies périphériques fut réalisée
principalement de 1889 à 1893. L'embranchement vers l'ouvrage
de Deyvillers date de 1900. Le matériel affecté à
l'exploitation de ce réseau (positionnement et transfert
des pièces d'artillerie, approvisionnement des forts et des
batteries) était composé de 14 locomotives, 32 wagons
de 5 tonnes et 117 wagons légers. 24 km de voie de réserve
étaient disponibles à l'Arsenal. La routine comprenait
un train de desserte par ouvrage, dont la composition était
invariable (adaptée au parcours et à sa destination).
La
deuxième étape, de 1897 à 1914, consistera
à moderniser de fond en comble cinq forts de la place, en
fonction des rares crédits disponibles : Uxegney, Dogneville,
Longchamp, Les Adelphes et le nouveau fort de Deyvillers. Ceux-ci
seront équipés de tourelles à éclipse,
de casemates de Bourges, de coffres de contrescarpe pour la défense
du fossé, et de nombreux locaux en béton armé.
Epinal
se présente donc en 1914 comme une place forte redoutable,
dotée de 16 forts dont 5 modernisés, un réduit
(Bois d'Arches), plus de 70 batteries d'artillerie intermédiaires,
33 redoutes d'infanterie, 20 abris de combat, 18 magasins à
poudre, 14 postes de commandement et 3 postes optiques. Le périmètre
de la ceinture atteint 43 km.
Les casernes pouvaient recevoir 15000 hommes, et le nombre de soldats
prévu à la mobilisation était de 60000.
La place comprenait aussi un parc à dirigeables, un champ
d'aviation, un hôpital militaire, une station radiotélégraphique,
un parc de 600 pièces d'artillerie et d'importants magasins
comme la manutention et le parc aux fourrages.
Tout
ce patrimoine historique existe encore aujourd'hui pour une large
part, le plus souvent dissimulé en pleine forêt ou
enfoui sous les ronces et les broussailles. Les chemins stratégiques
et l'ancienne plate-forme de la voie de 0,60m, bien conservés
par endroits, permettent de faire de magnifiques promenades. En
revanche, il ne reste plus trace de la manutention, de l'arsenal
ni du parc à dirigeables, ainsi que l'hôpital militaire
de Golbey et le parc aux fourrages, disparus récemment sous
les engins de démolition. L'abri de combat de la Haye le
Doyen à Golbey vient de subir le même sort (mars 2009). |